mardi 7 janvier 2014

TIRE-BOUCHON ET JUSTICE OU : QUAND PÉRILLE PERDAIT UN PROCÈS CONTRE TRÉBUTIEN




Amis des tire-bouchons, bonjour.



Je me proposais depuis quelques jours d'évoquer pour vous le combat sans merci qui opposa en justice deux de nos héros : Jacques Pérille et Eugène Trébucien, le premier accusant le second de contrefaçons.
L'enjeu devait être d'importance pour justifier une très longue procédure !

Mais il me fallait préalablement vous apporter une fiche bibliographique sur le livre de 
Gérard BIDAULTLES BREVETS DE TIRE-BOUCHONS FRANÇAIS 1847 - 1968.
J'avais en effet besoin de recourir aux connaissances de Gérard BIDAULT pour rédiger cet article et je n'imaginais pas de citer son ouvrage référence sans l'avoir auparavant présenté.
C'est maintenant fait !



PERILLE - TREBUCIEN : UN PROCÈS POUR CONTREFAÇONS.


J'ai trouvé dans les 
ANNALES DE LA PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE ARTISTIQUE ET LITTÉRAIRE,
JOURNAL  DE LÉGISLATION, DOCTRINE ET
JURISPRUDENCE FRANÇAISES ET ÉTRANGÈRES
la relation de l'épilogue en 1884 d'un procès pour contrefaçons intenté par Jacques Pérille à Eugène Trébucien (notre Eugène Trébutien).


Jacques Pérille avait assigné Eugène Trébucien en justice.
Il avait été débouté dans un premier jugement pris en appel par la Cour de Paris.
Le jugement avait ensuite été cassé et l'affaire confiée à la Cour d'appel de Rouen.
La Cour d'appel de Rouen, statuant en cour de renvoi, déboutait encore Jacques Pérille, lequel se pourvoyait en cassation.
Le 26 janvier 1884, la Cour de cassation confirmait définitivement l'arrêt de la Cour d'appel de Rouen et déboutait le plaignant Jacques Pérille.


RÉSUMÉ DU PROCÈS DEVANT LA COUR DE RENVOI, 
CONFIRMÉ ENSUITE PAR LA COUR DE CASSATION.



L'avocat de Pérille dénonçait des contrefaçons s'attaquant :

1° à un brevet nommé, désigné ;
2° à un modèle de tire-bouchon nouveau ;
3° à une marque de fabrique.
Il demandait à la cour de renvoi qu'il lui plaise de  :
1° dire que l'invention de Pérille consiste dans un tire-bouchon combiné de quatre pièces articulées entr'elles :
2° dire que les mots "tire-bouchon à hélice" constituent la marque de fabrique de Pérille ;
3° dire que le dépôt fait par Pérille le 29 octobre 1877 lui assure la propriété privative de son modèle de fabrique
4° dire que Trébucien s'est rendu coupable de contrefaçon tant du brevet Pérille que de la marque et de son modèle 
et demandait en conséquence que la Cour condamne Trébucien...

L'avocat de Trébucien, devant la Cour de renvoi, développait de nouveaux arguments en soutenant que la poursuite ne portait pas sur la contrefaçon d'un modèle de fabrique, ni sur la loi du 18 mars 1806.
Cette loi du 18 mars 1806 qui "abandonne à la volonté de l'inventeur d'un dessin de fabrique le soin de déterminer la durée du privilège de reproduction qu'il entend se réserver, et lui enjoint de faire cette déclaration au moment même où il opère son dépôt, il faut conclure que le dépôt doit être effectué avant toute mise en vente du dessin ; s'il est vrai que c'est l'invention du dessin qui en confère la propriété, c'est le dépôt qui la consacre.
Par suite, lorsque l'inventeur d'un dessin de fabrique a commencé, avant le dépôt, volontairement, au grand jour l'exploitation commerciale de ce dessin, la présomption est qu'il a voulu livrer sa création au domaine public" 
L'avocat prenait ensuite ses conclusions, et demandait à la cour qu'il lui plaise de :
1° dire que l'invention n'étant pas nouvelle, le brevet pris par le sieur Pérille ne peut servir de base à une poursuite ;
2° dire que les citations délivrées au sieur Trébucien ne relevaient contre lui que le délit de contrefaçon de brevet et celui de contrefaçon de marque de fabrique, mais non de contrefaçon de modèle de fabrique ; que dès lors le juge n'a pas été saisi quant à ce dernier délit 
Et l'avocat de demander à la Cour de confirmer le jugement et débouter Pérille.


La Cour d'appel de Rouen, instituée en Cour de renvoi, statue le 03 mars 1882 :
Attendu qu'il résulte des citations que Pérille a entendu dénoncer les contrefaçons qui s'attaquent :
1° à son brevet pour un nouveau tire-bouchon , pris le 14 avril 1876, avec certificats d'addition des 27 juin et 08 novembre 1877 ;
2° à son modèle de nouveau tire-bouchon ;
3° à la marque de fabrique également déposée.
(Ici, le recours au livre de Gérard BIDAULT sera indispensable ! j'y viendrai plus loin, après vous avoir donné la conclusion du procès.)
La Cour conclut :
1° sur l'exception relevée au chef de la contrefaçon de modèle de fabrique
La Cour rejette sur la forme les arguments trop tardifs de la défense, rappelant que les juges du fait (le tribunal correctionnel) apprécient souverainement le caractère et la valeur des antériorités opposées à un brevet et la nouveauté de l'invention. 
Sur le fond, elle dit ne pas avoir à apprécier la valeur des perfectionnements brevetés par Pérille, mais à rechercher si les perfectionnements invoqués n'étaient pas déjà connus et appliqués avant le dépôt de brevet. Elle donne tort à l'accusation en concluant que ces perfectionnements préexistaient ailleurs et que le résultat industriel prétendu n'a pas été justifié.
2° sur la contrefaçon des modèles de fabrique
La Cour rejette l'argument de la défense selon lequel le décret du 8 mars 1806 ne s'appliquerait qu'aux dessins et non aux modèles en relief : le modèle étant par ses contours un dessin en relief.
Mais elle donne tort à l'accusation en disant qu'aux termes de la loi de 1806, le droit privatif revendiqué par Pérille ne pouvait être réservé que par la formalité nécessaire d'un dépôt préalable. Or Pérille a livré à la publicité et vendu lui-même avant l'accomplissement de la formalité, le modèle ou dessin qu'il revendique actuellement. Son dépôt tardif, fait en vue de la poursuite, et après qu'il ait laissé tomber ce dessin dans le domaine public, le rend non recevable à exercer une action en contrefaçon de ce chef.
3° sur la contrefaçon des marques de fabrique, la Cour dit que l'attitude, même regrettable de Trébucien, ne tombe pas sous l'application des dispositions visées dans la citation. 
La désignation de tire-bouchons comme "tire-bouchons anglais" ou "à hélice" était répandue avant que Pérille ait élevé la prétention de se l'approprier est non justifiée.

Pour ces raisons, la Cour d'appel de Rouen, instituée en Cour de renvoi, condamne donc Pérille aux dépens.
Pérille se pourvoit alors en cassation.

Mais la Cour de cassation ne retient aucun motif d'annulation et clôt la procédure en rejetant ce pourvoi le 26 janvier 1884.



Le livre cité de Gérard BIDAULT (Cf. extrait ci-contre) nous apporte de précieuses informations sur les brevets en cause :



Page 56 : le brevet daté du 14 avril 1876 selon le tribunal y est enregistré au 15 avril 1876 (le lendemain) : il concerne le tire-bouchon de Pérille communément appelé la MENAGERE, ainsi que trois modèles dérivés à rondelle, pignon ou volant, non répertoriés.

Page 58 : l'additif délivré le 27 juin 1877 concerne deux modèles dérivés, l'un non répertorié, l'autre étant l'EXTRACT bien connu.

Page 60 : celui délivré le 08 novembre 1877 concerne un nouveau modèle dérivé à pédale ou à levier, encore non répertorié.



Il reste cependant des questions non résolues :
Je n'ai pas retrouvé trace du dépôt fait par Pérille le 29 octobre 1877 - selon son avocat - et lui assurant la propriété privative de son modèle de fabrique.
Je n'ai pas connaissance du tire-bouchon commercialisé par Trébucien et visé par l'action en justice de Pérille : il faudrait pouvoir retrouver le procès en première instance, mais les annales n'en disent rien.
Je n'ai pas non plus d'explication concernant l'orthographe du nom : Trébucien ou Trébutien ?
Peut-être les blogueurs en sauront-ils plus ?
Mais l'important dans notre affaire est que la "MÉNAGÈRE", dont le brevet avait été déposé par Pérille après présentation et mise en vente, est de fait tombée dans le domaine public !

Comment s'étonner dès lors de rencontrer tant de tire-bouchons fonctionnant sur le même principe ?




Une partie de mes "Ménagères"


Quelqu'un écrira sûrement un livre sur les tire-bouchons à hélice !


M




4 commentaires:

  1. Un livre sur les Tire-bouchons à hélice?? Pourquoi ne pas l'écrire Marc?
    Il me semble d'après ce que j'ai lu ça et là sur votre blog...que vous en connaissiez un rayon en la matière;...(vue d'un néophyte)

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  2. Je crois bien que le projet existe quelque part. Je serais heureux d'y participer !

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  3. J'ai pu accéder au compte rendu des phases antérieures du procès.
    Je rédigerai ces jours ci un article complémentaire.
    On y aura au moins des explications concernant le dépôt fait par Jacques Pérille le 29 octobre 1877.
    A bientôt !

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  4. En effet Marc il faudrait qu'on arrive à se rencontrer pour partager nos idées et avancer sur le projet car de mon côté je piétine un peu!,

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