vendredi 23 décembre 2016

WHO'S WHO DE L'HELIXOPHILIE : L... COMME JACQUES LAPIERRE




Amis hélixophiles, bonjour !



Le collectionneur nécessaire 
de la semaine pour notre rubrique : 

le Who's Who de l'hélixophilie 

est Français. Il s'agit de :




Jacques Lapierre



Jacques Lapierre, militant de l'hélixophilie partagée, est un collectionneur passionné, auteur généreux, membre très actif du Club Français du Tire-Bouchon qu'il a présidé et ... pas un adepte de la langue de bois ! 
Merci à lui d'avoir bien voulu répondre à nos questions.



L'architecte hédoniste


Question : Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Réponse : En quelques mots ? ... mais c'est me demander l'impossible, Marc ! 
Je suis né à Louhans en Saône-et-Loire en 1961, mais mes parents étaient du Sud de la France où nous sommes revenus vivre en 1975. Et c'est là, dans cette région de Provence, que j'ai construit ma vie.
Mon parcours scolaire n'a pas défrayé les chroniques lycéennes. Je n'étais pas un élève brillant, au grand dam de ma maman…. j'étais plutôt enclin à faire la fête sans me préoccuper du lendemain, d'humeur contemplative et peu dépensier en efforts. Ce n'était pas vraiment de l'oisiveté forcenée, mais plutôt et déjà une délicieuse forme d'hédonisme. 
Cette attitude n'était pas pour plaire à ma famille. Après un ultimatum que je compris comme non négociable, je me suis efforcé non sans mal d'obtenir le baccalauréat. 
Ce sont mes prédispositions et mes attirances pour les arts graphiques qui m'orientèrent sans grande conviction vers l'architecture… mais la formation fut vraiment une révélation et c'est un choix que je n'ai jamais regretté.

Je suis donc devenu architecte et ai commencé ma carrière à Marseille, à concevoir des boutiques et des magasins, avant de monter une agence en association, aventure douloureuse qui m'a définitivement convaincu de travailler sans attaches et sans mariages.
Un retour à Marseille dans une agence d'envergure m'a ensuite permis d'apprendre le métier, non pas dans la créativité nécessaire à la profession, mais dans la manière d'appréhender les relations avec autrui, maîtres d'ouvrage ou entrepreneurs, les façons complexes d'aborder un projet et l'art de travailler à plusieurs sur un même objet. 
La crise du bâtiment de la fin des années 90 m'a amené à quitter mes activités marseillaises en 1995 pour m'installer à Brignoles où j'habitais depuis 1993 et à y "visser ma plaque".
Je me suis alors orienté vers les marchés publics en réalisant écoles, logements sociaux, salles communales, restaurants scolaires, aménagements urbains… grâce à de bonnes compétences acquises en matière de réhabilitation et réappropriation des techniques de construction oubliées…
1993 marque également le début de ma vie maritale avec Françoise. 



Un ZIG-ZAG qui a tout déclenché


Q. A l'origine d'une collection, il y a généralement un événement déclencheur : comment les choses se sont-elles passées pour vous ?

R. A partir de mon installation à Brignoles, je n'ai jamais manqué les déballages hebdomadaires, sur les berges du Caramy, la rivière qui traverse le village. C'est un oncle qui m'a entraîné à me lever tôt le matin pour aller chiner : il avait bien compris que je partageais sa passion et y trouvait sûrement aussi son compte. 
C'était une époque bénie où il y avait de belles marchandises accessibles aux petits budgets. Des friperies de qualité me permettaient de m'habiller "décalé", ce qui convenait particulièrement bien à mon statut d'étudiant en architecture. Je trouvais également là tout le nécessaire pour réparer les quelques mobylettes, motocyclettes et 2CV acquises par mes travaux saisonniers…

Le paysage était campé, les tire-bouchons allaient bientôt suivre ! 
Mon premier achat fut utilitaire : un ZIG-ZAG, que je possède encore, un des rares tire-bouchons que j'utilise quotidiennement. Les ZIG-ZAG ne sont pas très beaux, voire même laids, mais ils sont d'un fonctionnement exemplaire, et s'il fallait en porter au pinacle, ce serait bien ceux-là que je choisirais.




Le ZIG-ZAG fondateur



Q. Et ce ZIG-ZAG a tout déclenché ?

R. Oui, absolument tout : les achats en brocante, les recherches sur le Net, l'entrée au Club Français du Tire-Bouchon... tout !
Dans les années 90, il était courant de trouver des tire-bouchons sympathiques en brocante : je me suis mis à acheter ceux qui me plaisaient et, en quelques mois, j'en avais déjà réuni une petite cinquantaine, sans pour autant rien savoir de leurs origines.
L'époque était aussi celle de mes débuts sur internet : j'avais un client qui ne pouvait être contacté que par ce biais. J'ai profité de ma familiarisation avec ce nouvel outil pour lancer des recherches et j'ai découvert eBay. A ses débuts, eBay ne proposait qu'une dizaine de tire-bouchons à la vente, tenant sur une demi-page
Mais c'est pourtant par eBay que j'ai rencontré l'ami Guy Germain à qui j'avais acheté quelques pièces et qui m'a parlé d'un club de collectionneurs de tire-bouchons. Je dois avouer que les bras m'en sont alors tombés : 
Qui d'autre que moi pouvait être assez dingue pour collectionner des tire-bouchons ?


Q. Et vous avez alors rejoint ces "dingues" ?

R. J'ai en effet saisi la perche tendue et ai contacté Marc Poncelet, alors Président du Club Français du Tire-Bouchon, et grâce à qui mon inscription fut effective en 2003.
Avec le congrès d'Angers, j'ai découvert la littérature dédiée aux tire-bouchons dans laquelle je me suis plongé avec délices et j'ai fait aussi des rencontres qui m'ont comblé : la rencontre de Gérard Teyssier qui encouragea mon intérêt grandissant pour les tire-bouchons extensibles ; celle de Gérard Bidault que je ne remercierai jamais assez pour son travail ; les moments plaisir avec toute la bande de joyeux drilles qui sont là depuis l'origine du club…. sans oublier mon filleul, José Cardoso !
C'est que le tire-bouchon est aussi fait pour ouvrir des bouteilles ! Et ce ne sont pas les amateurs de bons vins qui manquent dans notre club. Tout un monde dans lequel j'ai vite trouvé mes marques et repères ….


Q. Combien de tire-bouchons estimez-vous avoir possédés ?

R. La question est toujours délicate et finalement, n'a que peu de sens : tout ne se vaut pas. Une collection est très hétéroclite, constituée des premiers trésors sans grande valeur marchande jusqu'aux pièces les plus remarquables et les plus chères. 
Au début de ma collection, je comptais frénétiquement. J'ai fini par abandonner au bout de deux cents pièces, par manque de rigueur dans le rangement.







S'il faut donner un nombre, je dirai qu'il n'y en a qu'un : celui du départ de ma motivation, mais ce n'est pas répondre à la question. Je la contournerai en rajoutant qu'une cinquantaine de mes tire-bouchons me semblent dignes de figurer à cause de leur rareté dans une collection digne de ce nom ; ce qui, somme toute, est bien peu en comparaison des grandes collections de quelques-uns d'entre nous.



Du ZIG-ZAG à l'écriture d'un livre


Q. Vous avez une préférence pour une catégorie de tire-bouchons, mais vous êtes-vous spécialisé sur cette seule catégorie ?

R. Comme je l'ai dit précédemment, c'est vraiment le tire-bouchon extensible qui a été le fer de lance de ma collection. Commencée avec un simple ZIGZAG, elle doit compter maintenant, à quelques exceptions près, l'ensemble de la production réalisée autour du principe de la démultiplication des forces d'extraction par des bras de leviers composés.
Sans vraiment l'avoir voulu, mais à force de recherches, j'ai fini par acquérir une connaissance assez pointue sur le sujet. Gérard Bidault m'a confié ses archives pour approfondir cette connaissance et m'a largement aidé sur les questions en suspens, les paternités douteuses et les recherches que je ne pouvais mener seul. J'ai fini par réunir progressivement à peu près toutes les informations qui pouvaient être connues sur les extensibles français.
Quelques années auparavant, Gérard Teyssier et Hajo Türler avaient préparé une petite exposition d'extensibles pour le congrès de Nancy, ville dans laquelle le ZIGZAG avait été fabriqué. Elle a été le début d'un répertoire photographique confortant mes recherches.


Q. Au point d'écrire un livre ?

R. Oui, fort de toute cette documentation, poussé par les uns et tiré par les autres, je suis allé voir Hajo pour lui proposer une rédaction commune d'un livre sur les extensibles.
Et, cinq années de travail plus tard, nous présentions notre livre : "Les tire-bouchons extensibles – Essai sur un répertoire et une classification des tire-bouchons à leviers composés", lors du congrès du CFTB de Reims en 2010.




Un livre devenu référence !


Nous avons vendu environ 400 exemplaires... 400, pour 6 ou 7 milliards d'individus peuplant la planète : notre succès fut tout relatif !


Les irremplaçables marchés aux puces


Q. Quels lieux ont votre préférence pour acheter des tire-bouchons et lesquels conseilleriez-vous aux nouveaux collectionneurs : salles de ventes, antiquaires, brocantes, Internet...

R. Par expérience, ce sont les vide-greniers qui occasionnent les plus belles découvertes. C'est ainsi que cet été encore, j'ai trouvé le rare "De Gounevitch", posé négligemment entre une paire de chaussures d'enfant et deux clés anglaises, dans un champ, à quatre ou cinq kilomètres de chez moi.




Gounevitch sur un vide-grenier !



J'ai un bon compagnon de chine : j'ai du mal à prendre la route seul dans la nuit. Par bonheur, nous ne cherchons pas les mêmes objets et ne nous faisons aucune concurrence. 
Le schéma est toujours le même : un rendez-vous soit chez l'un, soit chez l'autre, un bout de route à discuter de la pluie et du beau temps, un café-croissant pour se donner du cœur à l'ouvrage et sortir de la torpeur de fin de nuit, et enfin le délicieux plongeon dans les vieilleries du déballage du moment.

Pour les lecteurs définitivement rétifs aux sommeils écourtés, internet permet de se constituer facilement un premier fond, mais au prix du moment et au juste prix : on ne fait pas de bonnes affaires sur internet, ou si peu.
Internet ne me sert qu'à "faire mes courses", et peut être plus que de raison. Mais cette facilité manque cruellement de poésie. Rien ne vaut le plaisir d'aller sur les déballages…

Les enchères dans les salles de ventes sont intéressantes si la publicité qui en est faite reste confidentielle et locale. Que ne me suis-je fait rabrouer par nos collectionneurs parisiens pour avoir laissé un ordre d'achat sur une vente aux enchères à Enghien !

Enfin, les antiquaires et brocanteurs réservent leurs trouvailles pour leurs meilleurs clients. Le peu qui est présenté est en général hors de prix.

Mais c'est sans rappeler les bourses d'échange du CFTB : toujours de belles trouvailles au rendez-vous entre personnes de bonne compagnie !



Un classement très personnel


Q. Votre collection semble importante aujourd'hui. Comment la classez-vous ? Utilisez-vous pour ce faire l'outil l'informatique ?

R. Je n'en suis pas encore au stade d'informatiser et recenser mes tire-bouchons : ils sont dans les tiroirs d'un meuble de métier, dans une armoire métallique et dans quelques boites. 





Je ne ressens pas encore le besoin de les exposer, d'une part parce ce que Françoise n'en veut pas dans la maison si ce n'est pour ouvrir une bonne bouteille...
Et d'autre part parce que c'est un vrai plaisir de les faire découvrir en fouillant dans mon bric-à-brac avec, à la clé, la bonne surprise de retrouver parfois un tire-bouchon oublié !



Le sens d'une passion


Q. Quel sens revêt pour vous la passion de la collection ?
   
R. En fait, je pense que l'excitation dans la constitution d'une collection se limite au désir d'acquérir et aux moyens de posséder. Une fois la pièce recherchée acquise, le charme est rompu et le tire-bouchon tant espéré redevient un bout de ferraille n'ayant pour valeur que celle que les autres collectionneurs et soi-même acceptent de lui donner… 
La définition du mot "collection" du Larousse est la suivante : Réunion d'objets rassemblés et classés pour le plaisir, l'utilité, leur valeur documentaire, esthétique, pour leur prix, leur rareté... 
C'est un peu trivial mais c'est bien la vanité dans laquelle baigne tout collectionneur... ce qui ne doit pas nous dissuader de continuer ! 
Le plus intéressant dans une collection, c'est la connaissance de ce qui gravite autour de l'objet et de pouvoir en parler : qui l'a fabriqué ? dans quelles conditions ? à quelle époque ?.... une histoire humaine à découvrir en quelque sorte.



Q. Pour en revenir à vos centres d'intérêt, hormis les extensibles, après quoi "courez-vous" ?

R. En dehors de ce glorieux épisode hélixophile, et pour compléter le chapitre sur mes préférences, j'avoue tout d'abord une véritable obsession : je ne peux imaginer une série de tire-bouchons qui resterait incomplète !
Pour exemple, le célèbre EXCELSIOR d'Armand Guichard, repris par Albert et Marcel Jacquier, a été produit avec quatre poignées différentes, en os, en ébène, en corne et en bois de rose. Il m'est inconcevable de ne pas réunir au moins un exemplaire de chaque variante. 
Le challenge est simple, mais l'attente est parfois longue ! Comme le précise le proverbe chinois, "Le bœuf est lent, mais la terre est patiente" : il faut être très patient !

J'ai aussi eu de beaux coups de cœur pour les tire-bouchons avec poignée en bronze, mais j'ai fini par m'en lasser en raison de leur prix devenu absolument déraisonnable. 
Enfin, et pour reprendre votre expression, j'ai "couru après" les couteaux équipés d'un tire-bouchon, les tire-bouchons français à griffe et bouton repoussoir, les petites bouteilles champenoises publicitaires en ivoire ou en corne.
... Et j'ai bien l'intention de faire de petites publications sur ces sujets dans l'Extracteur, si elles n'ont déjà été faites. Je reste persuadé que ce n'est qu'à l'aide de ce support qu'on peut accroître les connaissances et en permettre le partage.


Q. Collectionnez-vous d'autres choses ? Votre démarche est-elle la même alors que pour votre collection de tire-bouchons ?

R. Je ne peux pas imaginer me lever aux aurores et rentrer bredouille quatre ou cinq heures plus tard, sans rien dans ma musette. 
J'ai la passion et la culture de l'objet insolite, incongru, désuet et digne d'un cabinet de curiosités …. 
Voici un petit aperçu de ce que je suis capable de ramener : 





Je laisse le soin au lecteur d'en découvrir l'utilisation….. A l'exception peut-être d'Alain Grondeau dont l'intérêt pour les bizarreries défie l'entendement, il y aura bien un objet inconnu pour chacun dans ces lots.



L'engagement dans le club


Q. Vous avez été président du CFTB. Pourriez-vous nous faire part de votre conception d'un club de collectionneurs et du rôle que devraient jouer les membres pour faire vivre leur club ?

R. J'ai une conception bien particulière de la collection et de la vie d'un club. Après mon passage éclair en tant que président du CFTB, je me suis aperçu que cette conception n'était pas vraiment celle du plus grand nombre. 
Je reste persuadé que le principe d'un club, c'est le partage : partage des connaissances, partage des découvertes, partage du temps... 
Quel est l'intérêt de posséder des merveilles sans en faire profiter les autres ? Comment peut-on en rester simple spectateur ?
Tous les collectionneurs ont des merveilles dans leurs vitrines,  peu acceptent de les montrer ou de communiquer, et c'est bien regrettable.


Q. Oui, on connait les "collectionneurs vitrines" et le "collectionneurs placards", mais de là à demander à chaque membre de rédiger des articles pour le club, n'est-ce pas excessif ?

R. J'ai écrit un petit article pour l'Extracteur sur les couteaux "Châtellerault" équipés d'un tire-bouchon. Dans l'esprit de mes convictions, j'ai rajouté cette phrase de Ghandi : "Tout ce que tu feras sera dérisoire, mais il est essentiel que tu le fasses". Ça semblait n'avoir aucun rapport avec l'article en question. Et pourtant !
L'essentiel est de faire, pour le plaisir de la chose faite et pour partager à un moment donné les connaissances et recherches effectuées. Je n'ai rien inventé dans cet article. Ce n'était qu'une collecte d'informations mises bout à bout. Je ne suis pas meilleur qu'un autre. Si je l'ai fait, d'autres que moi pourront le faire, avec certainement beaucoup plus de talent. Chacun doit faire effort !

Nous avons accueilli un nouveau membre lors de notre bourse d'échange du CFTB à Chablis, Frédéric Romain. 
Au cours d'une conversation, il m'a dit qu'il lui manquait un seul tire-bouchon "cadeau BONUX", celui à la poignée de couleur marron. Je crois que c'est un vrai collectionneur : peu importe la valeur des choses, l'essentiel étant de se faire plaisir. J'espère qu'il trouvera sa pièce manquante … et qu'il nous fera une communication sur ces tire-bouchons !



Conseils aux nouveaux collectionneurs


Q. Ma dernière question : nous sommes aujourd'hui à un tournant de l'hélixophilie. La génération des fondateurs est vieillissante, mais nous rencontrons aussi de nouveaux collectionneurs. Quel message passeriez-vous aux nouveaux collectionneurs pour les aider dans leurs débuts ?

R. Je leur dis : lisez, apprenez et cherchez ! Sans hiérarchie dans l'ordre de ces conseils !



-/-


Quand je vous disais que Jacques Lapierre n'était pas un adepte de la langue de bois ! Mais sachez aussi qu'il est complètement impliqué dans la recherche, apportant ses informations, en sollicitant d'autres auprès des plus savants des collectionneurs : n'hésitez pas à le solliciter, il vous aidera s'il le peut !



M


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